Le 21 juin prochain, la 5e compagnie des pompiers de Valparaiso fêtera son 173e anniversaire. Plus connue sous le nom de Quinta, ou Pompe France, elle fut en effet créée en 1856 par la communauté française de Valparaiso.
Ce matin, tout est calme sur le front des incendies. Les cinq volontaires de la Pompe France sont pourtant en train de se préparer. Aujourd’hui, ils vont dans un quartier de la ville mener une opération de sensibilisation des habitants au risque d’incendie. Tous ne portent pas le même équipement. Il y a celui utilisé pour les incendies urbains (lourde veste en cuir, casque intégral) et celui utilisé pour les feux de forêts, beaucoup plus léger. Les deux sont encore estampillés « marins-pompiers de Marseille » avec qui une convention de partenariat a été passée en 1999 !
C’est le moment de l’appel pour le capitaine Italo Mena Mora, déjà 15 ans de maison et pompier volontaire de père en fils. Chaque pompier appelé se fait un honneur de répondre « présent » en français, ultime trace de ce que fut la « Pompe France ». Jadis, pour y être volontaire, il fallait être français ou descendre d’une famille française. L’essentiel des ordres et règlements se faisait également en français. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et plus aucun volontaire n’est français, alors que la communauté des expatriés reste encore très importante. Un manque d’engagement que déplore le capitaine Mora. Hormis l’appel, la dernière trace francophone est l’hymne de la compagnie que chaque volontaire doit apprendre et chanter lors des parades et défilés.
Celui qui le chante le mieux est Hipolito Morales, ancien capitaine de la marine marchande, qui compte 40 ans de Pompe France. « J’ai choisi la Pompe France parce que mon père y était déjà mais surtout parce que je suis né un 14 juillet ! explique-t-il dans un sourire ». Ça ne s’invente pas. Une autre tradition demeure, celle d’accueillir les navires français faisant escale à Valparaiso. Journal de bord du « Prairial », aviso de la marine française du 23 juin 2015 au matin : « Arrivée à Valparaiso. Les pompiers de la 5e compagnie ont salué notre arrivée à leur manière : jet d’eau bleu blanc rouge, camions de pompiers français et garnison sur le quai ». Cette tradition d’accueil remonte à 1954, date à laquelle le navire-école « Jeanne d’Arc » jette l’ancre pour la première fois dans le port de Valparaiso. Lors de son dernier voyage en février 2006, la « Jeanne » avait à son bord un cadeau très spécial : un camion-citerne Iveco offert par le bataillon des marins-pompiers de Marseille, un symbole fort de la coopération commencée en 1999.
Une histoire au long cours
Les relations entre la France et Valparaiso commencent dès le XVIe siècle. Les corsaires de Saint-Malo sont les premiers à fréquenter la côte. Suivent des navires marchands qui font relâche à Valparaiso. Dans les registres du port, apparaissent les noms de Buzat, Des Cartes, Des Granges, De la Villebare, Peltière Espichard, Fleury, La Toullerie et bien d’autres encore. A partir de 1705, nombre d’entre eux s’installent à Valparaiso, font souche, ouvrent un commerce. Une petite communauté se développe qui accueillera bientôt les explorateurs Louis-Antoine de Bougainville, François-Dominique de Lapérouse et Jules Dumont d´Urville. Lors de la guerre d’indépendance contre l’Espagne, les Français prennent fait et cause pour la jeune République et certains d’entre eux s’illustreront pour leurs actes de bravoure. En 1827, le gouvernement du Chili nomme Charles Le Gentil du Pont de Larche, agent commercial général, et reconnait Eric Masson comme consul général de France. Commence alors la grande époque de Valparaiso. Le commerce y est florissant et la communauté française ne cesse de s’agrandir. Architectes, artistes, peintres, musiciens et scientifiques n’hésitent pas à braver les océans pour venir ici exercer leur art, attirés par de riches commerçants avides des dernières modes parisiennes. Le 17 juillet 1848, 120 membres influents de cette communauté se réunissent pour créer une « société de bienfaisance » afin d‘aider les nouveaux arrivants et les résidants nécessiteux. Valparaiso vient alors de connaître un terrible incendie qui a ravagé une rue entière. Le journal « El Mercurio » insiste alors sur la nécessité de créer un corps organisé de lutte contre le feu.
Tous unis contre le feu
Lors des discussions de la société de bienfaisance, l’idée de mettre sur pieds une brigade de pompiers est évoquée. Le nom est trouvé, ce sera la « Pompe France », sa devise : « Honneur et Dévouement ». Ses hommes, tous des volontaires. Quant à leur équipement, ce sera celui des pompiers parisiens. Construite toute en bois, la ville de Valparaiso n’est pas que vulnérable aux incendies. Tempêtes et tremblements de terre apportent aussi leur lot de destruction, autant de calamités peu favorables aux affaires. Et puis, les communautés américaine et allemande y pensent aussi qui créeront leurs brigades en 1851, respectivement la Primera et la Segunda, les deux premières d’une longue liste de compagnies de pompiers qui en compte désormais 16, presque une par nationalité présente dans le port chilien. La dernière à avoir été créée est la « Pompe Israël », née en 1973. La « Pompe France » voit donc officiellement le jour le 21 juin 1856, en même temps que les pompes italiennes, anglaises et espagnoles.
Elle est divisée en une compagnie d’eau et une compagnie d’échelles qui deviendra par la suite la 8e compagnie, dite la « Franco – Chilienne ». Elle est d’emblée une des mieux équipées avec des casques en bronze et deux pompes à bras qui resteront en service jusqu’en 1885. Sur le mur du garage de la caserne de la calle Freire, des photos témoignent de l’évolution du matériel : camion Delahaye-Falcot en 1920, camion Renault Turbina en 1930… jusqu’au Camiva marseillais arrivé en 2006. Tout à côté, le dortoir accueille chaque jour les cinq volontaires qui assurent la permanence. A l’étage, le mess, la salle de réunion et les bureaux de l’administration où trônent en bonne place nombre de souvenirs de la riche histoire de la compagnie. Parmi eux, l’uniforme de Christian Modrow Valdebenito, le seul mort de la compagnie, décédé lors d‘une intervention en août 1989. Pourtant, la vie des pompiers de Valparaiso est loin d’être tranquille. La pire catastrophe reste celle du 1er janvier 1953 au cours de laquelle 36 volontaires trouvent la mort dans l’explosion d’une réserve de dynamite. La « Pompe France » n’aura que 12 blessés !