L’autre madeleine ! Vous avez aimé celle de Proust, vous adorerez celle de Gauthier, celle qui s’écrit avec un A, comme Alexandre, jeune chef talentueux qui a fait de la Grenouillère, maison familiale, un haut-lieu de la gastronomie française à Madelaine-sous-Montreuil, dans le Pas-de-Calais.
La petite route sinue aux pieds de la ville de Montreuil-sur-mer. Là, adossé aux fortifications élevées par Vauban, le hameau de la Madelaine-sous-Montreuil s’étire le long de la Canche, miroir changeant pour saules pleureurs et peupliers altiers. Au bout du chemin ou presque, un ensemble de belles longères abritent la Grenouillère, la nouvelle adresse gastronomique qui a redonné au Montreuillois toutes ses lettres de noblesse. Plaque d’acier rouillée, panier à œufs customisés sont des signes de piste annonciateurs de plus amples bouleversements. Puis, carreaux de faïences, cheminées en bois, pièces au plafond bas s’effacent soudain devant un long couloir noir. Les lignes s’affinent, s’épurent et se redressent. Un tissu de camouflage en guide de porte et vous voilà transporté au cœur de l’univers d’Alexandre Gauthier, mis en scène par l’architecte Patrick Bouchain. Sur la table, le strict minimum : un couteau posé sur un morceau de poterie signé Jean Lautrey, un verre à pied et une feuille de papier froissé, au texte raturé, le menu. Le parcourir, ou plutôt le déchiffrer, c’est pénétrer l’esprit du lieu, errer avec le chef dans ses tâtonnements propices à la création.
Alexandre Gauthier revendique une cuisine de terroir, résolument française mais libérée de ses contraintes et de ses aprioris. Face aux produits, il affiche une franchise parfois brutale. « Chaque produit a une vie et des ressources à tous les stades de sa vie. C’est vrai pour les fruits et les légumes mais également pour la viande. Ici, je sers la vachette à 3, voire 5 semaines. J’adore imaginer des recettes avec un même produit travaillé à des stades de maturité différents qui dévoilent alors des goûts et des saveurs insoupçonnés ». Son autre cheval de bataille, la cuisson : « Pour moi, on mange toujours trop cuit et c’est un désastre gustatif. Mais pas seulement. L’intégrité même du produit en est modifié ». Ce chantre de la cuisson courte le prouve avec un de ses plats signatures : le homard-genièvre. C’est une sensation étrange que d’attraper cette queue de homard à pleine main et de croquer dedans. Au début, le geste est timide, un fond de bonne éducation sans doute, et puis il y a les voisins, qui regardent. Ensuite, le geste s’affermit car le homard a ici une toute autre texture et les dents doivent se tailler un chemin dans les fibres longitudinales de ce muscle adapté aux rudes conditions de vie sous-marine. La timidité devient bestialité, le jus coule entre les doigts et sur les lèvres. C’est juste dur de réprimer le réflexe de s’essuyer les lèvres d’un revers du coude. Moment grandiose et délicieux où la transgression joue à plein et sublime toujours plus le produit. Avant et après, le chef a concocté quelques belles surprises plus classiques dans leur dégustation. Œufs de caille Algues séchées, Potimaron et Clémentine, Blanc de caille et Crevettes grises, Courge jaune et Coquillages, Huitre chaude au poivre blanc, Haricots beurres rôtis au beurre, Seiche sang de cochon, Vachette, Maïs sarriette, Cacao cerfeuil.
L’idéal, après un tel moment, est de rester dormir sur place.
Là aussi, Alexandre Gauthier et Patrick Bouchain ont su créer un lieu hors du temps, suspendu entre marais oublié et jardin fantastique. Inspiré des huttes de chasse de la baie de Canche, les deux compères ont dissimulé huit chambres au fond de la propriété mise au naturel par la paysagiste Tiphaine Hameau. Plantes endémiques, fagots, hêtres, bouleaux et saules pleureurs se mêlent et s’entremêlent en un savant désordre, se reflètent dans la grande baie vitrée des chambres. Intérieur en bois brut, lit en contrebas, baignoire dissimulée dans une coffre banquette, poêle à bois, télévision dissimulée dans une toile de jute…tout a été conçu pour créer un rustique confortable, un nouvel antre propice à l’hibernation. Pour peu que vous décidiez de prendre le délicieux petit-déjeuner au lit, apporté en chambre dans un panier d’osier, voici un lieu où il fait bon paresser. Ultime et délicieuse transgression.