En juin 2026, à l’occasion du centenaire de la mort d’Antoni Gaudi, la Catalogne rendra hommage à ses architectes qui, au début du XXe siècle, inventèrent le modernisme catalan. Si Barcelone concentre l’essentiel des bâtiments construits dans ce style, bien d’autres sont à découvrir à Reus et dans les environs de Sitges.
Entrer dans le temple de la Sagrada Familia procure toujours un choc émotionnel. La plus haute église du monde toise la ville de Barcelone de ses 172 m de hauteur. Sa flèche principale vient enfin d’être coiffée de sa croix géante dessinée, dès 1890, par Antoni Gaudi. L’église ne sera pas terminée pour le centenaire de sa mort, mais il était important pour tous les admirateurs de l’architecte d’achever cette étape de la construction. Passé la façade Est décorée de statues représentant la Nativité, le visiteur est littéralement happé par l’immensité de la nef, la forêt de piliers qui s’élèvent vers le ciel, les jeux de lumière des vitraux. Le moindre détail a été pensé par Gaudi et respecter ses volontés posent encore bien des défis techniques aux architectes d’aujourd’hui. Mais le résultat est là, sublime et féerique. Antoni Gaudi est mort un soir de juin 1926. Lui qui a construit les plus belles maisons de Barcelone, vivait à la fin de sa vie dans un atelier sans eau ni électricité. La Sagrada Familia, maîtresse exigeante à force d’embellissements, avait découragé les donateurs et Gaudi se ruina en finançant lui-même les travaux. La vie et l’œuvre de Gaudi, et donc l’apothéose du modernisme catalan, appelé Art Nouveau ailleurs en Europe, est en effet liée à la richesse de Barcelone. Vers 1870, la ville connaît un développement économique sans précédent. Les usines tournent à plein régime et d’immenses fortunes se créent. Rien n’est trop beau pour la grande bourgeoisie qui s’entiche alors de ce jeune architecte à l’imagination débordante. En 1885, Gaudi construit sa première maison pour la famille Vicens. Son architecture d’inspiration mauresque, la prolifération des détails ornementaux inspirés de la nature et le travail minutieux des artisans séduisent. Les commandes affluent, en particulier d’Eusebi Güell, à la tête d’un empire industriel textile. Il sera tout au long de sa vie le principal mécène d’Antoni Gaudi, finançant sans trop compter, les excentricités du Palais Güell (1886-1889), vaste demeure parée de marbre soutenue par une architecture parabolique ouvrant de vastes espaces intérieurs ; de la Colonia Güell (1898-1915) dont seule la crypte, réalisée avec des matériaux de récupération et des colonnes de basalte, sera terminée ; et enfin du parc Güell (1900-1915), cité-jardin utopique inachevée. Entre-temps, Gaudi réalise les deux merveilles que sont la Casa Batllo (1904-1906) et la Casa Milà (1905-1907), sans jamais perdre de vue la construction de la Sagrada Familia commencée en 1882 !
Fou ou génie
En 1878, lorsqu’Antoni Gaudi reçoit son diplôme d’architecte, ses professeurs disent ne pas savoir s’ils ont récompensé un fou ou un génie. Parmi eux, un certain Lluis Domenech i Montaner, autre père du modernisme catalan. Curieusement, cet architecte a laissé son empreinte dans la ville de Reus, là ou est né Gaudi mais qui n’y fit jamais rien. L’Institut Pere Mata, construit entre 1897 et 1912, est un bel exemple de modernisme catalan mis au service du public. Dans cet hôpital psychiatrique, le confort et la beauté se devaient de participer au traitement des patients. Cette réalisation permettra à Lluis Domenech i Montaner de se voir confier la construction, à Barcelone, du magnifique hôpital San Pau, situé non loin de la Sagrada Familia. On lui doit aussi l’incroyable palais de la musique catalane. A Reus, Domenech i Montaner construit plusieurs maisons même si la Casa Navas reste son plus beau manifeste avec un intérieur d’origine où les arts décoratifs atteignent leur apogée, véritable foisonnement de mosaïques, vitraux, céramiques et meubles à motifs floraux. Tout à côté, le Centre d’Interprétation Gaudi mérite une visite pour ses reconstitutions de maquettes en plâtre. Soucieux du moindre détail, Antoni Gaudi n’hésitait pas, par exemple, à faire asseoir ses ouvriers dans du plâtre frais pour créer des chaises à l’assise parfaite. Reus compte une centaine de constructions modernistes réalisée par des architectes tels que Pere Caselles ou Joan Rubio i Bellver. La trentaine de maisons sélectionnée offre un joli parcours dans la ville. A Barcelone, le chantier titanesque de la Sagrada Familia se révéla en effet être une pépinière de jeunes talents. Outre Joan Rubio i Bellver, un certain Cèsar Martinell travaille lui aussi à la Sagrada. Il devient célèbre grâce à ses chais utilisant les arcs paraboliques chers à Gaudi. Situées dans les environs de Sitges, ces « cathédrales du vin » que sont les domaines Pinell de Brai, Gandesa, Falset Marçà ou encore Cornudella de Montsant, étonnent toujours par leur modernité et leur sobriété. Gaudi était décidément un visionnaire lorsqu’il écrivait : « Bientôt, les gens du monde entier viendront voir ce que nous faisons en Catalogne ! ».
